Il y a douze ans, il sâest blessĂ© la colonne vertĂ©brale dans un accident de voiture, il sâest retrouvĂ© en fauteuil roulant. Depuis, il a achevĂ© ses Ă©tudes Ă lâuniversitĂ©, a rĂ©appris Ă faire du cheval et du ski, ces derniers temps il se dĂ©foule dans lâair en paramoteur. Aujourdâhui, GĂĄbor DeĂĄk ne voudrait plus changer avec personne.
â Comment lâaccident sâest-il produit?â On âse prĂ©parait au bac ensembleâ avec deux copains, en vĂ©ritĂ© nous faisions du rallye automobile sur une pente. Soudain jâai eu un mauvais pressentiment, jâai dit au gars qui conduisait de ralentir, sinon on va mourir. Il ne lâa pas fait, et une seconde aprĂšs on sâest cassĂ© la gueule. Je nâavais plus de pouls quand jâai Ă©tĂ© â en dernier - mis dans lâambulance. Jusque lĂ , ma vie Ă©tait le sport: jâĂ©tais lutteur de compĂ©tition, je faisais du ski, jâavais appris Ă faire du cheval tout seul, ma mĂšre me grondait de marcher sur mes mains mĂȘme dans la cuisine⊠Et dâun coup, je me suis trouvĂ© collĂ© Ă ce fauteuil.
â Que peut-on faire dans une telle situation?
â Mes parents ont dĂ©pensĂ© des fortunes pour des kinĂ©s, des guĂ©risseurs et charlatans de tous genres, seulement les âtraitementsâ nâont donnĂ© aucun rĂ©sultat. Jâen ai eu marre, et je me suis dit, il faut faire autrement â essayons lâĂ©quitation. Jâai dĂ» me faire attacher dans la selle, je nâarrivais mĂȘme pas Ă me tenir droit, mais je me sentais de nouveau un homme. Jâai fait faire une selle spĂ©ciale avec des coussinets de sĂ©curitĂ©, et dressĂ© un cheval, Rancard. Aujourdâhui, je fais de lâĂ©quitation de terrain, au galop partout. Jâai eu un Ă©lĂšve de soixante ans, qui sâest paralysĂ© dans sa petite enfance, atteint par la polyo; il rĂȘvait Ă monter Ă cheval. On lui a conseillĂ© dâaller voir Sitting BullâŠ
â Câest qui?
â Moi, dâaprĂšs le chef sioux, dont lâapprĂ©ciation est dâailleurs assez hĂ©tĂ©rogĂšne: Ă lâĂ©poque, câest lui qui a conclu avec le capitaine Grant le traitĂ© sur les rĂ©serves indiennes. Je suis assis, je suis Taureau, jâai la foi indienne⊠En revenant sur mon Ă©lĂšve: rĂ©cemment il a Ă©tĂ© quatriĂšme Ă une course de vitesse, et il est rentrĂ© en cheval⊠Je voulais encore quelque chose Ă cĂŽtĂ© de lâĂ©quitation⊠Autrefois je faisais trĂšs bien du ski, en gĂ©nĂ©ral jâai toujours aimĂ© les sports extrĂȘmes â quoique le ski ne puisse ĂȘtre qualifiĂ© dâextrĂȘme que dans mon cas. Je suis allĂ© en Autriche pour une semaine, et jâai recommancĂ© Ă skier Ă lâaide dâun systĂšme fixĂ© sur les skis. LĂ , jâai appris Ă tomber⊠Mais lâannĂ©e dâaprĂšs, je ne tombais plus â ce sĂ©jour dâune semaine a portĂ© ses fruits. Aujourdâhui, je pratique surtout des pistes rouges et quelques noires, je peux dire de façon assez pro.
â Tu tâes donc bien dĂ©brouillĂ©.
â Ce que jâarrive Ă faire tout seul, je le fais, mais si jâai besoin dâaide, ça ne me rend pas mal Ă lâaise non plus. Il y en a beaucoup qui nâaiment pas demander, qui nâaiment pas donner, ils prĂ©fĂšrent tourner en rond dans leur cage. Moi, je vais partout oĂč je veux. Quand je sors le soir, je peux danser six heures dâaffilĂ© sans aucune drogue.
â As-tu rĂ©ussi Ă pardonner Ă ton copain?
â Pendant trois ans, jâĂ©tais plein de colĂšre et dâirritation â pourtant la haine te bouffe les forces. Enfin je lui ai pardonnĂ©, et je me suis soulagĂ©. Aujourdâhui, nous sommes en rapport quotidien. Le hasard nâexiste pas â câest ma philosophie â, et savoir que tout Ă©vĂ©nement a bien une raison et tout sert Ă tâapprendre quelque chose est trĂšs rassurant. Mon accident a Ă©tĂ© aussi un enseignement â il mâa aidĂ© Ă devenir quelquâun de meilleur. Aujourdâhui, je ne changerai plus avec personne. Jâai plus dâamis quâavant, et un fils dâun an, Marci DeĂĄk. Il ne faut pas avoir peur de la vie, il faut vivre chaque jour. Pour moi, le verre est Ă moitiĂ© plein. Je fais attention aux signes â et ils viennent, de façon brutale, surprenante. Je nâĂ©coute quâĂ mon coeur, pas Ă la raison.
â Entretemps, tu as dĂ©crochĂ© un diplĂŽme. Pourquoi avoir choisi lâuniversitĂ© PĂĄzmĂĄny?(universitĂ© catholique)
â La soeur dâun ami sây est inscrite, ils mâont convaincus de lâessayer moi aussi (Ă cette Ă©poque, jâavais enfin passĂ© le bac). Je nâai rien Ă chercher Ă lâuniversitĂ©, protestais-je, dâailleurs câest plein dâescaliers. Mais enfin, je nâavais rien Ă perdre. Jâai pas mal travaillĂ© pour lâexamen dâentrĂ©e, jâai tirĂ© ma question prĂ©fĂ©rĂ©e, le Vatican, et obtenu le max de points. (Dâailleurs je nâai pas Ă©tĂ© Ă©levĂ© dans la religion, et je ne suis pas religieux, je suis croyant.) Mon diplĂŽme Ă©tait aussi une sorte de rĂ©compense de tout ce que mes parents ont fait pour moi. Les Ă©preuves nâont fait que renforcer notre famille. Mon frĂšre, qui est en mĂȘme temps mon meilleur ami â enfant, je le gardais souvent, câest moi qui lui a appris Ă faire de la moto quand il avait Ă peine pied â mâa soutenu sans mot dire. Avocat fraĂźchement diplĂŽmĂ©, je nâai pas trouvĂ© de stage â pas question de mâenvoyer ça et lĂ â, je suis devenu procureur. Ca ne mâa pas plu, je suis incapable de travailler submergĂ© par des Ă©nergies nĂ©gatives. Je prĂ©fĂšre guĂ©rir des gens, physiquement et psychiquement, par la force de la pensĂ©e et Ă lâaide de mon Dieu.
â DâoĂč vient ta motivation pour le vol?
â De mon ami Miki MerĂ©nyi, qui fait de la parapente depuis cinq ans, et du paramoteur depuis deux ans. Il avait une telle force de conviction en parlant du vol: ça mâa impressionĂ© dâentendre combien câĂ©tait gĂ©nial et faisait la trouille en mĂȘme temps, une sorte de catharse. Jâai volĂ© avec Szaky (Norbert Szakolczi) Ă PĂĄty, il mâa dĂ©finitivement passĂ© le virus. Câest grĂące Ă Miki que jâai connu mon instructeur, Peti AmbrĂłzy. Jâadore les gens qui savent sâemballer et lui, il sait. Câest un esprit libre au maximum, Miki mâa bien prĂ©venu que la formation pouvait bien prendre du temps: sâil fait beau, Peti prĂ©fĂšre voler que dâenseigner. LâannĂ©e derniĂšre jâai commencĂ© les cours (effectivement, ça nâa pas Ă©tĂ© rapide!), on sâest exercĂ© Ă Mocsaros, Ă Gödöllő, Ă Dunakeszi. A lâautomne, nous avons volĂ© en biplace Ă Alsóörs â câĂ©tait mon premier trajet oĂč je manoeuvrais la voile, Peti ne sâoccupant que des gaz. Jâai laissĂ© mon fauteuil roulant dans la voiture Ă lâaĂ©roport, et aprĂšs sâĂȘtre posĂ©s Ă Alsóörs, jâai roulĂ© en chariot jusquâau bar du coin âŠ
â Pourquoi avoir choisi le Flyke parmi les autres chariots?
â Contrairement aux autres modĂšles, celui-ci nâa pas dĂ» ĂȘtre modifiĂ©. Je lâai testĂ© mĂȘme en se renversant Ă plein gaz, câest une structure bien solide.
â Jâai entendu dire que tu venais dâavoir une panne moteur...
â Le vrai baptĂȘme du feu pour moi! Nous avons dĂ©collĂ© Ă six heures et demie du soir, pour aller au Balaton, Miki devant, Peti derriĂšre moi. Au-dessus de lâaĂ©roport de Farkas-hegy, Ă 600 mĂštres environ, jâai abaissĂ© les gaz (je voulais tester le moteur en les remettant aprĂšs) â et le moteur a calĂ©. Plus tard, on a dĂ©couvert que lâorifice flexible du carburateur sâĂ©tait fissurĂ© puisque mal fixĂ©. Jâai essayĂ© Ă redĂ©marrer huit fois, rien, cependant jâai perdu 200 mĂštres. Ca ma quand mĂȘme fait couler lâadrĂ©naline des oreilles. Jâai fait des S pour rester au-dessus de lâaĂ©roport, et rĂ©ussi Ă atterrir sans problĂšme. Les gens de lĂ -bas nâĂ©taient pas trĂšs chauds, les paramoteurs ne sont pas admis Ă Farkas-hegy. De plus, je leur ai fait comprendre que câĂ©tait Ă eux de ramasser la voile et dĂ©gager le chariot... Enfin on sâest quittĂ© en bons termes, et Peti a mis le tampon sur mon licence PPG, quâil ne distribue pas facilement.
â Tu pourrais nous raconter quelques vols inoubliables?
â A SzĂ©plak, nous avons dĂ©collĂ© dâun terrain de foot, je me suis Ă©levĂ© Ă 1200 mĂštres; câĂ©tait dâailleurs un vol de deux heures. Au-dessus du chĂąteau de NĂłgrĂĄd, jâĂ©tais Ă 2000 mĂštres, mon souffle se voyait dans lâair. Jâai arrĂȘtĂ© le moteur, et je me suis retournĂ© Ă DiĂłsjenő, le lieu de dĂ©collage. La derniĂšre fois, on a Ă©tĂ© Ă Szigliget, dâoĂč nous avons volĂ© deux heures et demie, entre autres en passant par Kapolcs, pour voir du ciel le festival âSemaine des Artsâ. Je nâai jamais Ă©tĂ© trĂšs attirĂ© par des vols locaux, jâaime bien voler le plus loin possible, dormir sur place et continuer le lendemain, oĂč on veut, oĂč on peut. Bien sĂ»r, on ne peut pas tout faire dâun coup⊠A Szepezd par exemple â oĂč on a Ă©tĂ© avec Miki â le dĂ©co Ă©tait sur une pente raide, cahotante, entourĂ©e de lignes Ă©lectriques. Jâai fait ce qui a Ă©tĂ© le plus dur: jâai renoncĂ© au dĂ©collage. La vie est longue, ça sera pour une autre fois. Jâavance toujours progressivement, câest pour ça que je nâai pas eu de problĂšme Ă cheval non plus, juste il sâest emballĂ© quelques fois, et point.
â Ton prochain coup aprĂšs le vol?
â Je voudrais beaucoup marcher de nouveau, mais je sais que ce nâest pas ça qui me rendrait plus heureux. Il nây a pas dâhomme plus heureux au monde que moi, ou pour mieux dire jâespĂšre quâil y en a quand mĂȘme⊠Si je rĂ©ussissais Ă rĂ©apprendre Ă marcher, je pourrais prouver la toute-puissance de la pensĂ©e.
Katalin Mezei
Photos: Miklós Merényi
Photos: Miklós Merényi